Danser dans ses pas
Ça "dansait, dansait, dansait pas", "dansait
pas" ou "dans ses pas" ? C’est ces confusions sémantiques
que la présente digression explore, en suivant les traces d’une tendance du
capital à extraire la parole, et pis pour trouver comment miner ce capital. Le
capital extrait maintenant la parole, écrite ou prononcée, par l’entremise de
systèmes de surveillance de masse : nos poches sont des micros ;
Cortana nous attend, nous entend ; l’Assistant Google écoute, pour mieux
servir ; des gémissements, on fait l’amour, Siri l’enregistre ; un
texto nous envoie un malware, on
clique, ça télécharge, ça nous écoute. Il faut miner le capital, l’endiguer, là
même où il nous extrait : jouer sur la parole ; jeux de mots ;
il faut parler en Amérique ; miner le capital, danser dans ses pas.
Nous savons au Québec que les mots n’ont pas de sens, que les mots n’ont pas qu’un sens. Pour s’en rendre compte, il suffit d’entendre des Français-e-s parler de leurs gosses, de les inviter à dîner, de confondre spatule et spatule au moment de ce même repas ; on comprend la pluralité sémantique d’une langue. Pourtant, les restes de la modernité nous gavent d’une métaphysique totalitaire, ou chaque mot serait fixe, ou chaque mot serait attaché à une seule signification, comme si les mots avaient pas d’histoire(s), comme si les mots naissaient signifiants.
On a tous des amis qui nous corrige sur l’usage de nos mots, mais celleux-ci oublient que leurs mots sont également confus et flexibles, incompris, et toujours différents tout en étant même. (oui, Derrida) Le fait pluriel des mots, est une lutte en filigrane. D’un côté, ce quotidien de l’enfance qui nous fait croire que le dictionnaire est la source du français, de l’autre des académies de la langue pour standardiser les langues au Québec comme en France ; peut-être nous faut-il protéger la langue à travers laquelle on existe ? Probablement. À ce sujet, des ami-e-s kurdes me racontent que, craignant de perdre leur langue, “toutes les langues sont passées par là, il nous faut cette unité de la langue et une Académie unifiant les dialectes de notre langue.” Mais n’y a-t-il pas une richesse et un pouvoir à voir dans chaque village du Kurdistan, dans chaque région, un mot distinct existe pour dire pain, manger, ou encore petit ?Non loin de là, la diversité d’une seule et même langue, l’arabe, a pourtant fait acte de résistance de par sa simple existence : c’était par manque d’arabisants que les Britanniques au 20e, et que les États-Unis au 21e, ont échoué dans leur tentative de contrôler l’Iraq.
Le français peut-il être cette langue qui nous permet de résister ? Dans les années 60, oui, mais aujourd’hui ? Peut-être, contre quoi ? Contre l’impérialisme américain ? Le Québec nous protège-t-il contre cet impérialisme ?
L’anglais, c’est la langue principale à travers laquelle les intelligences artificielles se déploient dans nos téléphones, nos ordinateurs, nos “maisons intelligentes”, nos “assistants Gxxgle”, et autres pacotilles. Mais le français n’est pas loin derrière. C’est là que le paradigme de la langue unique se présente : les IA se spécialisent dans la capture des mots en fonction 1) des marchés les plus lucratifs 2) et des accents hégémoniques. Sans surprise, la France — désirante d’être moderne — tire donc une partie de l’appareil de capture vers elle. La langue française est donc à la portée des IA, et la langue est donc plus tant la question que l’accent. L’accent est la manière de prononcer un mot, et qui donc permet au micro de transmettre un mot, qui est transformé en information par l’ordinateur — généralement par le processus d’une transcription, une sorte de rouleau compresseur aplatissant de la parole par l’écrit. Mais le Québécois — du moins un certain parlé canadien-français —, c’est une autre paire de manche : “c’est coupé au couteau”, c’est des variations prononcées, des voyelles, des syllabes absentes, et c’est là que la confusion computationnelle se joue. Mais pour combien de temps ? Pas beaucoup, je n’en doute pas, surtout avec les $ de la #syliconvalleydunord du pape sanitaire québécois, François Legault.
Le travail est déjà commencé, des ami-e-s ont même travaillé à transcrire des conversations québécoises pour des intelligences artificielles, qui ne tarderont pas à capter “les accents”, et à ce moment, que restera-t-il de la résistance? Le Québécois sera une autre langue à l’ossature brisée par le capital. Peut-être, mais il existe également la possibilité de lutter contre cette intelligence artificielle en se réappropriant lettres, mots, et sens, et prônant le retour du français canayen et sa capacité à faire foisonner les sens. C’est clair, le parlé canayen, c’est moissonner le multiple, c’est faire d’un mot d’Église, un sacre, un verbe, un adverbe, un nom, un adjectif — et même une virgule, colis. C’est aussi patenter n’importe quel mot à partir d’un rien ; une étymologie sans cesse naissante. C’est un mot du quotidien qui devient métaphore du couple : “chaque torchon trouve sa guenille”.
Le canayen, c’est un faire multiple, un faire multiple que l’Académie française ne comprend pas, un faire multiple que l’Office québécois de la langue française peine à capture malgré ses tentatives, c’est un souvenir oublié ; l’oublié d’une mémoire du "je me souviens".
Ce multiple — oublié par les institutions — c’est ce qui nous permettra de sortir des méandres de l’Assistant Google. Google, on va le multipler, Facebook aussi. En regardant la culture mainstream américaine sur YouTube, j’ai vu une vidéo très drôle, ou une personne est commanditée par Google pour faire la promotion des écouteurs Google et du Google Assistant (lien ici, si vous avez envie de rire). On y voit la personne invoquer l’Assistant avec une incantation, "the magic command" : la personne dit un simple mot, “google”… Sachant très bien que son public utilise cet assistant google, et que l’itération du mot est une formule magique qui activera l’Assistant chez son audience toujours connectée et en présence de Google, elle met cette même incantation sous-silence, profitant plutôt du support visuel pour l’ajouter au bas de la vidéo… 1
Il semblerait que ces adeptes de l’incantation google soient aux prises avec une tension autour du mot, google, qui ne peut plus qu’être nommé dans l’incantation, faisant planer un silence étrange d’une puissance magique qui ne peut être évoquée qu’au moment d’un service. Google ne pourrait être nommé que dans des incantations ! Comment lutter contre google, si ce silence devient norme sociale, règle tacite interlacée à la politesse ? Que faire quand des enfants se feront (font ?) enseigner de ne pas dire Google autre que pour lui demander un service ? Google deviendrait (devient ?) le nouveau blasphème.
Comment lutter contre cet ordre des mots, des lettres, que la Silicon Valley veut nous enseigner ? Si l’accent qui nous aura protégé-e-s un temps ne le permet plus, on va faire quoi ? C’est là que la polysémie du canayen gagne en importance. Le multiple de la langue, autrefois la risée de la modernité, deviendra non pas l’acte de résistance, mais la seule manière d’exister au-delà de l’appareil total auquel rêve Google (et probablement l’État québécois et canadien). Contre la totalité, les canayen-ne-sferont ce qu’ils ont toujours fait : Multiplier. Il était interdit de blasphémer, ça aura été fait par maintes personnes ; et je le ferai, et d’autres canayen-ne-s aussi. Google deviendra un blasphème employé à toutes les sauces pour sans cesse pervertir l’invocation ; la même chose sera vraie de Facebook, Siri, et l’assistante sensuelle Microsoft intégrée dans tous nos ordis.
Ce qu’on peut faire, c’est d’abord de briser l’ordre du pouvoir en se permettant de briser les silences, en disant google. Mais quand dire ce mot que l’on déteste ? Eh ben ici la question de l’affect se présente en tandem avec celle de la polysémie. Pour le dire, google, il faut d’abord l’aimer, et pour l’aimer il faut l’associer ailleurs, à une autre chose, il faut associer le mot à une trace autre que celles de la structure totalisante de Google. Il faut renverser la stratégie coloniale contre elle-même, la prendre par le milieu : alors que Google tente de s’approprier l’alphabet, et le mot “Google”, il faut créer une attache sémantique et matérielle plus forte que celle de l’hégémon. Cette attache, ce serait la pluralisation du mot, des syllabes, ce serait sa réappropriation. Et ne nous méprenons pas, si je parle ici du canayen, c’est parce que c’est de là qu’on vient. À nos ami-e-s des autres langues, à nos ami-e-s de langue anglaise, pourquoi pas faire de même dans votre parler ?
J’ai rencontré, il n’y pas si longtemps, un chat. Le chat vivait une belle vie, avec sa famille et d’autres chats. Cette famille l’avait nommé, évidemment. Mais c’était le choix de ce nom qui était des plus intrigant : le chat s’appelait Facebook, son frère, Twitter. Anodin, c’est certain, mais j’ai rarement autant aimé Facebook, et j’ai rarement si peu parlé de Facebook dans une famille pourtant bien connectée.
Google Tardif
1 Voir à la séquence débutant à 7 minutes 40 secondes.
Nous savons au Québec que les mots n’ont pas de sens, que les mots n’ont pas qu’un sens. Pour s’en rendre compte, il suffit d’entendre des Français-e-s parler de leurs gosses, de les inviter à dîner, de confondre spatule et spatule au moment de ce même repas ; on comprend la pluralité sémantique d’une langue. Pourtant, les restes de la modernité nous gavent d’une métaphysique totalitaire, ou chaque mot serait fixe, ou chaque mot serait attaché à une seule signification, comme si les mots avaient pas d’histoire(s), comme si les mots naissaient signifiants.
On a tous des amis qui nous corrige sur l’usage de nos mots, mais celleux-ci oublient que leurs mots sont également confus et flexibles, incompris, et toujours différents tout en étant même. (oui, Derrida) Le fait pluriel des mots, est une lutte en filigrane. D’un côté, ce quotidien de l’enfance qui nous fait croire que le dictionnaire est la source du français, de l’autre des académies de la langue pour standardiser les langues au Québec comme en France ; peut-être nous faut-il protéger la langue à travers laquelle on existe ? Probablement. À ce sujet, des ami-e-s kurdes me racontent que, craignant de perdre leur langue, “toutes les langues sont passées par là, il nous faut cette unité de la langue et une Académie unifiant les dialectes de notre langue.” Mais n’y a-t-il pas une richesse et un pouvoir à voir dans chaque village du Kurdistan, dans chaque région, un mot distinct existe pour dire pain, manger, ou encore petit ?Non loin de là, la diversité d’une seule et même langue, l’arabe, a pourtant fait acte de résistance de par sa simple existence : c’était par manque d’arabisants que les Britanniques au 20e, et que les États-Unis au 21e, ont échoué dans leur tentative de contrôler l’Iraq.
Le français peut-il être cette langue qui nous permet de résister ? Dans les années 60, oui, mais aujourd’hui ? Peut-être, contre quoi ? Contre l’impérialisme américain ? Le Québec nous protège-t-il contre cet impérialisme ?
L’anglais, c’est la langue principale à travers laquelle les intelligences artificielles se déploient dans nos téléphones, nos ordinateurs, nos “maisons intelligentes”, nos “assistants Gxxgle”, et autres pacotilles. Mais le français n’est pas loin derrière. C’est là que le paradigme de la langue unique se présente : les IA se spécialisent dans la capture des mots en fonction 1) des marchés les plus lucratifs 2) et des accents hégémoniques. Sans surprise, la France — désirante d’être moderne — tire donc une partie de l’appareil de capture vers elle. La langue française est donc à la portée des IA, et la langue est donc plus tant la question que l’accent. L’accent est la manière de prononcer un mot, et qui donc permet au micro de transmettre un mot, qui est transformé en information par l’ordinateur — généralement par le processus d’une transcription, une sorte de rouleau compresseur aplatissant de la parole par l’écrit. Mais le Québécois — du moins un certain parlé canadien-français —, c’est une autre paire de manche : “c’est coupé au couteau”, c’est des variations prononcées, des voyelles, des syllabes absentes, et c’est là que la confusion computationnelle se joue. Mais pour combien de temps ? Pas beaucoup, je n’en doute pas, surtout avec les $ de la #syliconvalleydunord du pape sanitaire québécois, François Legault.
Le travail est déjà commencé, des ami-e-s ont même travaillé à transcrire des conversations québécoises pour des intelligences artificielles, qui ne tarderont pas à capter “les accents”, et à ce moment, que restera-t-il de la résistance? Le Québécois sera une autre langue à l’ossature brisée par le capital. Peut-être, mais il existe également la possibilité de lutter contre cette intelligence artificielle en se réappropriant lettres, mots, et sens, et prônant le retour du français canayen et sa capacité à faire foisonner les sens. C’est clair, le parlé canayen, c’est moissonner le multiple, c’est faire d’un mot d’Église, un sacre, un verbe, un adverbe, un nom, un adjectif — et même une virgule, colis. C’est aussi patenter n’importe quel mot à partir d’un rien ; une étymologie sans cesse naissante. C’est un mot du quotidien qui devient métaphore du couple : “chaque torchon trouve sa guenille”.
Le canayen, c’est un faire multiple, un faire multiple que l’Académie française ne comprend pas, un faire multiple que l’Office québécois de la langue française peine à capture malgré ses tentatives, c’est un souvenir oublié ; l’oublié d’une mémoire du "je me souviens".
Ce multiple — oublié par les institutions — c’est ce qui nous permettra de sortir des méandres de l’Assistant Google. Google, on va le multipler, Facebook aussi. En regardant la culture mainstream américaine sur YouTube, j’ai vu une vidéo très drôle, ou une personne est commanditée par Google pour faire la promotion des écouteurs Google et du Google Assistant (lien ici, si vous avez envie de rire). On y voit la personne invoquer l’Assistant avec une incantation, "the magic command" : la personne dit un simple mot, “google”… Sachant très bien que son public utilise cet assistant google, et que l’itération du mot est une formule magique qui activera l’Assistant chez son audience toujours connectée et en présence de Google, elle met cette même incantation sous-silence, profitant plutôt du support visuel pour l’ajouter au bas de la vidéo… 1
Il semblerait que ces adeptes de l’incantation google soient aux prises avec une tension autour du mot, google, qui ne peut plus qu’être nommé dans l’incantation, faisant planer un silence étrange d’une puissance magique qui ne peut être évoquée qu’au moment d’un service. Google ne pourrait être nommé que dans des incantations ! Comment lutter contre google, si ce silence devient norme sociale, règle tacite interlacée à la politesse ? Que faire quand des enfants se feront (font ?) enseigner de ne pas dire Google autre que pour lui demander un service ? Google deviendrait (devient ?) le nouveau blasphème.
Comment lutter contre cet ordre des mots, des lettres, que la Silicon Valley veut nous enseigner ? Si l’accent qui nous aura protégé-e-s un temps ne le permet plus, on va faire quoi ? C’est là que la polysémie du canayen gagne en importance. Le multiple de la langue, autrefois la risée de la modernité, deviendra non pas l’acte de résistance, mais la seule manière d’exister au-delà de l’appareil total auquel rêve Google (et probablement l’État québécois et canadien). Contre la totalité, les canayen-ne-sferont ce qu’ils ont toujours fait : Multiplier. Il était interdit de blasphémer, ça aura été fait par maintes personnes ; et je le ferai, et d’autres canayen-ne-s aussi. Google deviendra un blasphème employé à toutes les sauces pour sans cesse pervertir l’invocation ; la même chose sera vraie de Facebook, Siri, et l’assistante sensuelle Microsoft intégrée dans tous nos ordis.
Ce qu’on peut faire, c’est d’abord de briser l’ordre du pouvoir en se permettant de briser les silences, en disant google. Mais quand dire ce mot que l’on déteste ? Eh ben ici la question de l’affect se présente en tandem avec celle de la polysémie. Pour le dire, google, il faut d’abord l’aimer, et pour l’aimer il faut l’associer ailleurs, à une autre chose, il faut associer le mot à une trace autre que celles de la structure totalisante de Google. Il faut renverser la stratégie coloniale contre elle-même, la prendre par le milieu : alors que Google tente de s’approprier l’alphabet, et le mot “Google”, il faut créer une attache sémantique et matérielle plus forte que celle de l’hégémon. Cette attache, ce serait la pluralisation du mot, des syllabes, ce serait sa réappropriation. Et ne nous méprenons pas, si je parle ici du canayen, c’est parce que c’est de là qu’on vient. À nos ami-e-s des autres langues, à nos ami-e-s de langue anglaise, pourquoi pas faire de même dans votre parler ?
J’ai rencontré, il n’y pas si longtemps, un chat. Le chat vivait une belle vie, avec sa famille et d’autres chats. Cette famille l’avait nommé, évidemment. Mais c’était le choix de ce nom qui était des plus intrigant : le chat s’appelait Facebook, son frère, Twitter. Anodin, c’est certain, mais j’ai rarement autant aimé Facebook, et j’ai rarement si peu parlé de Facebook dans une famille pourtant bien connectée.
Google Tardif
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